C’est une décision très importante que la Cour d’appel de Versailles a rendu le 19 mai en confirmant la faute inexcusable de Renault dans le suicide d’Antonio B., un ingénieur qui travaillait au Technocentre de Guyancourt dans les Yvelines.
C’est en effet la première fois que la justice rend une telle décision.
Elle envoie un signe aux directions d’entreprises : on ne peut impunément demander toujours plus aux salariés avec toujours moins de moyens.
On ne peut, sans prendre un risque juridique lourd, mettre en oeuvre des stratégies de management qui isolent, qui individualisent, qui portent atteinte à la dignité et à l’équilibre des individus. « La cour d’appel a dit que Renault avait nécessairement conscience du danger auquel était exposé Antonio B. au regard de sa charge de travail », a commenté l’avocate de la famille du salarié.
Ainsi, Renault ne peut pas dire que l’entreprise ne savait pas que ses méthodes de management et son organisation du travail sont potentiellement dangereuses en termes de risques psychosociaux.
Cet ingénieur était l’un des trois salariés du Technocentre de Guyancourt à s’être suicidé en quatre mois en 2006 et 2007. Il s’était jeté du cinquième étage du bâtiment principal du Technocentre. Son dossier était le premier à parvenir à ce stade de la procédure. La Cour d’appel de Versailles va prochainement être amenée à examiner les deux autres.
Cette décision est aussi très importante car elle intervient dans un moment où d’autres suicides ou tentatives viennent rappeler la terrible réalité vécue par de nombreux salariés, y compris et parfois surtout, par les plus qualifiés.
Une extrapolation d’une étude menée en 2003 en Haute-Normandie par des médecins du travail a estimé entre 300 et 400 par an les suicides liés au travail en France. Cela veut dire pratiquement un mort par jour !
Depuis que ces drames ont jeté une lumière crue sur les méthodes de management des entreprises, certaines se sont échinées à communiquer, à mettre en place des cellules d’écoute, des consultations psy et autres cautères sur des jambes de bois, sans remettre en question les causes délétères qui conduisent des individus à des gestes ultimes.
L’enjeu n’est pas le dépistage des personnalités les plus fragiles, mais une rupture avec des méthodes et des stratégies qui foulent au pied les individus.
Une décision de justice ne fait pas tout. Elle va créer une insécurité juridique pour les entreprises qui détestent ce type de risque, mais pour en finir avec ce qui nous appelons le Wall Street management et ses dégâts, il nous faut passer partout à une démarche collective, syndicale. Le syndicalisme doit être le lieu où se posent les questions de la souffrance et où s’imagine un autre mode de gestion.